Une démarche artistique participative et relationnelle
Après deux projets artistiques développés sur les territoires d’Asnières et Gennevilliers en 2011 et 2012 : Espaces Rêvés puis Lieu Commun, ayant pour objectif de renouer le dialogue entre les jeunes des deux cités en conflit, en leur donnant la parole et en organisant des espaces d’expression, la Mairie de Gennevilliers propose en 2013 de prolonger le partenariat avec la compagnie friches théâtre urbain, permettant à la metteuse en scène Sarah Harper, de poursuivre et renouveler ce travail d’immersion et de « grand voisinage ».
Un grand désir d’expression parmi les habitants du Luth s’était fait ressentir, mais avec une méfiance à l’égard de l’image et de tout recueil ou restitution de l’actualité, de la vie réelle et du quotidien. Or c’est bien là, dans le vécu et les frustrations quotidiennes, que se niche le cœur sensible du travail de Sarah Harper : dans la création de portes de sortie pacifiques aux tensions accumulées.
Elle propose alors pour ce troisième projet de recourir au théâtre pour placer l’enjeu ailleurs et dénouer la situation à travers l’imaginaire. En effet, le théâtre permet un travail collectif et collaboratif privilégiant la rencontre tout en touchant directement à l’intime : confronté à des situations nouvelles, parfois extrêmes, l’interprète puise dans son vécu et ses propres émotions. Le texte et la mise en scène créent la distance nécessaire pour permettre des explosions d’énergie, de colère ou de joie. Le théâtre permet d’exprimer ce qui ne peut pas l’être, de valoriser chacun des participants par la reformulation artistique et la création d’une œuvre collective.
La mise en question des identités urbaines demeure le dessein principal de Sarah Harper pour ce projet ambitieux, pour lequel le processus de création relationnelle est tout aussi important que la forme des rendus définitifs.
En plus de la dimension participative, Sarah Harper tente de renouer le dialogue entre les différentes générations, opposées par des modes d’expressions différents.
Le projet Shakespeare au Luth s’avère donc être une réponse artistique à cette réalité, par la mise en place d’actions originales de collaboration intergénérationnelle.
« Blood will have blood » (Le Sang appelle le sang)
En janvier 2014, l’œuvre collective déambulatoire ainsi créée est jouée à trois reprises à travers tout l’Espace Aimé Césaire, transformé pour l’occasion en une installation théâtrale monumentale.
Une cinquantaine de riverains de tous âges, ont partagé leur puissance créative et expressive à travers leur relecture très actuelle de William Shakespeare.
Au cœur de l’action, le public est immergé dans cet événement déambulatoire, plongé dans un monde shakespearien, et si semblable au nôtre… mêlant les registres et les langues : tour à tour épique ou tragique, passant de la rhétorique à l’introspection, de la politique au sentiment, de la diplomatie à la cérémonie, des éclats barbares au comique. Cet essai sur le pouvoir et notre société est tissé à travers des extraits de Macbeth, Richard II, Roméo et Juliette, et Le songe d’un nuit d’été.
Scènes jouées, scènes dansées, instants de marionnettes, installations photos et vidéos ; la multiplicité des dispositifs artistiques rend cette expérience théâtrale accessible et impressionnante, révélant une énergie et une audace collective qui valorise les participants autant que le quartier.